Dans le 93, le FN balise et se banalise (Marianne, 05/11/2015)

Dans le 93, le FN balise et se banalise (Marianne, 05/11/2015)

Tête de liste frontiste aux régionales en Ile-de-France, Wallerand de Saint-Just communique sur ses tractages en banlieue. Mais pas n’importe laquelle.

C’est une petite musique que le Front national cherche à installer depuis plusieurs semaines : non, il n’est pas persona non grata en banlieue, et d’ailleurs, il compte bien  dans ces quartiers. Dont acte. Ce jeudi, Wallerand de Saint-Just, tête de liste frontiste en Ile-de-France pour les régionales de décembre, a donné rendez-vous aux médias pour une matinée de tractage sur un marché d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Marianne est allé tâter le terrain.

Gare aux images d’Epinal. N’allez pas imaginer des militants frontistes faisant du porte-à-porte dans des barres d’immeubles sans âme. Le FN va dans « le 9-3 », d’accord, mais choisit soigneusement son terrain. Jordan Bardella, le jeune secrétaire départemental du FN, admet d’ailleurs que le parti ne se risque pas dans les cités. « C’est un problème pour les militants », concède-t-il, mais qui se pose aussi à la police ou aux journalistes », relativise-t-il aussitôt. L’équipe de Wallerand de Saint-Just a donc opté pour le traditionnel marché du jeudi matin, dans la partie plus chic du sud de la ville. « Ici, c’est des Français. Ils ne vont pas tracter dans des quartiers chauds », s’amuse Amina, qui porte un grand tchador gris. Sur le fond, cela l’indiffère : « la politique, je m’en fous ». Et le FN, ça ne l’inquiète pas du tout. « Je n’ai pas peur », sourit-elle.

A l’image d’Amina, personne sur le marché n’est vraiment troublé par ces militants frontistes qui arpentent les stands pendant une bonne heure. L’accueil est poli. Mais bien plus que de l’intérêt pour le FN, c’est le ras-le-bol de ces satanés « politiques » qui revient sur toutes les lèvres. Et une forme de résignation qui pourrait bien faire les affaires de Marine Le Pen. « J’ai déjà voté pour deux partis, je vais peut-être essayer le troisième », explique Claude. « C’est pas qu’ils sont tous pourris, mais bon… », soupire Karine. Une dame passe devant les militants, elle se dit « écoeurée ». Dans son quartier, « ils ont encore brûlé trois voitures ! », peste-t-elle, avant de s’agacer contre l’absence de commerces de proximité : « chez nous, on n’a plus que le Netto… »

Dominique, lui, est un grand fan : « j’ai déjà voté pour le FN, je ne m’en cache pas ». S’ensuit une violente diatribe contre l’immigration – et tant pis pour les approximations. « Le Syrien, il va gagner plus que moi qui suis au chômage. On ne s’occupe pas des Français », rouspète-t-il, avant de parler de sa « voisine maghrébine qui n’arrive pas à tenir son gosse ». Pas sûr que cela relève des compétences du conseil régional… Il nous livre sa dernière vérité, sur le ton de la confidence : « beaucoup de Magrébins votent FN ici ».

AU PROGRAMME, « RÉCONCILIATION » ET « VIE PLUS HARMONIEUSE »

De fait, cette femme voilée qui se dit « marocaine et musulmane » ne veut pas donner son prénom, mais annonce que son bulletin sera pour le FN : « Je les aime bien, je veux qu’ils gagnent. Ils peuvent résoudre les problèmes ici ».Mohammed, lui, scrute le tract avec intérêt. Le FN, « pourquoi pas ? », dit-il. « Les politiques ne tiennent jamais leurs promesses. Ici, c’est toujours la crise ». A côté de lui, Isaac, longue barbe poivre et sel, opine silencieusement du chef. Ici, le FN est devenu un parti comme un autre. En Seine-Saint-Denis, il a percé à plus de 20% aux européennes de 2014, comme aux départementales de mars dernier.

De quoi conforter Wallerand de Saint-Just. « On n’est pas là pour faire de la démagogie », assure-t-il. « Nous ne voulons pas opposer des quartiers, des groupes, des communautés, mais faire passer un message sur les possibilités de réconciliation et de vie plus harmonieuse« . Des aspects qui nous avaient échappé dans les déclarations de sa patronne Marine Le Pen.

Il y a tout de même ceux, nombreux, qui passent leur chemin quand on leur tend le tract estampillé « bleu marine ». Les militants n’insistent pas. Et puis ceux qui restent persuadés que le FN n’est pas la solution. Tayeb est de ceux-là. « Les immigrés travaillent, ils contribuent à la vie économique et sociale. Regardez l’Amérique : ce qui fait sa force, c’est sa diversité », insiste ce Tunisien installé en France depuis 50 ans, qui se dit « socialiste ». Entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, il ne voit pas la différence. « Le FN n’a pas trouvé de nouveau slogan. Le problème, c’est toujours l’immigré », raille-t-il. Mais Tayeb voit bien que même en Seine-Saint-Denis, le discours de Marine Le Pen se banalise. « Les gens aiment bien », murmure-t-il, le regard inquiet.

Lien : http://www.marianne.net/93-fn-balise-se-banalise-100237745.html

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